Un voile de fumée. Un filtre jaune terne ; un regard désintéressé. Voilà, vous l'avez, celui qui ne voyait la vie qu'en 2D. Quand il prend la peine de la toiser – ce n'est sûrement pas demain qu'il rejoindra cette fouille grouillante, c'est un fait. Faîte de musique en 8bit, d'atworks pixellisés et de mégots jonchant le sol. Toujours accroché à sa console, comme si la lâcher reviendrait à perdre une vie... La sienne. Mais c'est peut-être ça son quotidien, ces bruitages clinquants et répétitifs, ses doigts qui mitraillent sans relâche les boutons de sa gameboy, psp, ou encore ds – mais peu importe, pourvu qu'il puisse jouer. Quelques fois, un « Game Over » cinglant vient lui rappeler qu'il n'est pas de pixels mais bien de chaire et de sang. Un sandwich, une canette de soda ; pas d'alcool. Déjà presque cancéreux à fumer comme un pompier, pas besoin d'en plus en rajouter.
Geek. Et no-life ? Certains peuvent conjuguer les deux. Il est incollable sur l'Atari 2600, sourit légèrement – l'équivalent d'un éclat de rire chez lui – à tous ces podcasts de geek bourrés de référence qu'on peut trouver sur le net, mais reste totalement inculte dans le domaine cinématographique et n'écoute pas d'autre musique que celle de ses jeux. Daigne se présenter en cours, quelque fois. Mais oublie la plupart du temps qu'il est cantonné à un emploi du temps ; est intelligent, incontestablement. A vu les experts s'extasier sur son QI plus qu'élevé. Un simple coup d'oeil vague avant de replonger dans son jeu. Ennuyant, d'être un génie. Il s'ennuie de tout, Léo. Aimerait qu'on l'appelle plus souvent comme ça, d'ailleurs ; mais trop tard, on l'a habitué à Clifford. Parfois, il aime prendre quelques minutes pour envoyer paître ceux qui polluent son air – et frapper celui qui oserait toucher à sa console ou le déranger dans son boss fight.
Mais la plupart du temps, préfère se concentrer sur sa partie. Pour contrer son putain de pouvoir. Vaste blague, tous ces chiffres qui tournoient en permanence dans sa tête. Toujours, des centaines de conjectures qui l'assaillent de toute part. Ce doit être ça, contrôler les probabilités. Probabilité que cette fille juste en face de lui trébuche sur ses lacets défaits et fasse tomber son sac dans la foulée ? 70%. Probabilité que son professeur l'interroge et l'envoie au tableau ? 20%. Il ne le contrôle pas, c'est tout simplement impossible. Il ne veut même pas en entendre parler, il préfère fermer les yeux et s'immerger dans ses jeux, où tout est linéaire, joué d'avance. On lui dit qu'il pourrait influer dessus, se jouer de Dieu et lui faire concurrence – foutaise, cette chose qui le possède est maudite. Faire que monsieur aille parler à madame prendrait tout simplement en compte trop de paramètres ; Clifford n'est pas armé pour supporter ces pléiades de chiffres dansant dans son crâne. Il n'a tout simplement pas la volonté nécessaire pour que la lumière soit, et n'ira jamais fournir suffisamment d'effort pour refaire le monde en une semaine. Il aurait pu enterrer son pouvoir au plus profond de lui-même ; mais cette saloperie aime à ressortir aux moments les moins propices. Il lui arrive de tout changer d'une simple pensée, de s'auto-flageller sans même en avoir conscience. Il ne connaît même pas les limites de son propre don. Triste, peut-être un peu pathétique, mais surtout dangereux, cette orgie de chiffres qui le conduit peu à peu à la folie.